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[EN]

SOLUS Vol. I (2019 – 2021)
Concerning atypical beauty and youth


Models cast by Midland


At the end of 2017 I was working on a fashion story in New York. A casting agency called Midland scouted the models for the editorial. Looking at their casting photos on their studio wall, I noticed that the simple, straightforward portraits of the very peculiar street-cast models were so much more interesting before they had gone through fashion’s machinations of wardrobe, make-up, hair. To my eye, these portraits were much more arresting than the images I was making on commission. Trying to articulate a description of the models eluded me because none of them could be considered traditionally beautiful. In fact, most were the opposite—odd, queer, uncommon, atypical, yet none of these words do them justice. The difficulty I had in describing what I was seeing enthralled me.

Midland’s directors, Rachel Chandler and Walter Pearce, had been in my orbit for a few years because I was fascinated by the aesthetic shift in fashion they were advocating. Chandler has said, “Walter’s dad said the kids we cast are the type who’d have got the shit beat out of them at his school in Midland, Texas. So it was the perfect name.” I asked Rachel and Walter if they would introduce their models to this personal project of mine in London, Paris, New York, Cape Town and Johannesburg. My brief to the models was, “Come in your own clothes with as little branding as possible, monochrome and block colours preferable.” As for what pose they should assume for the camera, “Simply present yourself and look me in the eyes.” For some models, I wanted more vulnerability and frailty in the portraits, to see their uniqueness worn with confidence and without embarrassment, and accordingly I asked them to wear less clothing; some went so far as to wear none.

When I asked myself what was so compelling about these images, I kept thinking of Œdipus, “the one whose feet are swollen”. In Greek mythology and tragedy, having different physical features or some kind of trait that could be perceived as a disability is often a sign of predestination. Œdipus walks differently from everyone else, both literally (he limps) and metaphorically, as his life takes a tragic path. However, the tragic is not only painful or dramatic—it can also be purposeful, and allows him to see things others don’t. It is because of his limp that Œdipus is able to solve the Sphinx’s riddle: “What has four legs in the morning, two in the afternoon and three in the evening?” His “defect”, which requires him to walk with a cane, allows him to understand that the answer is “man”, even though he is not yet old.

I admire and am attracted to those who are “unusual”. If normal is symmetrical I am drawn to the asymmetrical. The rigidity of a normal gait must be stifling. Society wants to control through a dualistic status where everything is about balance and resolution. Boring! Give me limping peg-legged pirates any day—not for their difference but their uniqueness. These kids are at an age where everything changes daily. Where the world doesn’t spin fast enough. There’s an incredible beauty in the mess of youth, and there is something affirming in not being run-of-the-mill. I think everyone can relate to not fitting in, not belonging. I relate to their seeming strangeness.

The models photographed for this series seem so different to how I felt at their age. They have an agency and idealism that I definitely didn’t have. I was much more cynical, more nihilistic. They are more comfortable in their bodies than I ever was. Perhaps it’s because I came of age during the aids pandemic. Bodies became vilified, sex always mixed with fear and danger. Sex, beauty and attraction come together for me as the mongrel child of Eros and Thanatos. And in this epoch, that paradox within us of craving both conformity and difference can now be expressed in a spectrum of astonishing breadth.





[FR]

UNIQUE Vol. I (2019—2021)
Sur la jeunesse et la beauté atypiques


Modèles castés par Midland


Fin 2017, je travaillais sur une série mode à New York. Une agence de casting, Midland, avait sélectionné les modèles censés apparaître dans l’éditorial. Quand j’ai vu les photos sur le mur du studio, j’ai remarqué que les modèles repérés dans la rue, simples et sans fard, dotés d’un physique très particulier, étaient bien plus intéressants avant de passer par les étapes rituelles de la photographie de mode que sont l’habillage, le maquillage et la coiffure. À mes yeux, ces portraits étaient plus frappants que les images que je produisais sur commande. J’étais incapable de formuler une description des modèles parce qu’aucun d’entre eux ne pouvait être considéré comme beau dans le sens traditionnel du terme. De fait, la plupart étaient presque à l’opposé du beau : étranges, décalés, singuliers, atypiques, bien qu’aucun de ces qualificatifs ne leur rende justice. Mon incapacité à décrire ce que j’avais sous les yeux m’a fasciné.

Depuis plusieurs années, je suivais les directeurs de Midland Agency, Rachel Chandler et Walter Pearce : j’étais captivé par le bouleversement esthétique qu’ils introduisaient dans le monde de la mode. Je leur ai demandé s’ils seraient d’accord pour présenter à leurs modèles mon projet couvrant Londres, Paris, New York, Le Cap et Johannesburg. Au sujet de l’agence, Chandler raconte, « Le père de Walter a dit que les gamins qu’on sélectionnait étaient le genre d’ados qui se faisaient péter la gueule dans son lycée à Midland, dans le Texas. Le nom était tout trouvé. » J’ai briefé les modèles comme suit : « Venez avec vos propres habits, de préférence monochromes ou color block et sans marques » Quant à l’attitude qu’ils devaient adopter face à l’appareil : « Soyez simplement vous-mêmes et regardez-moi dans les yeux ». J’attendais plus de fragilité et de vulnérabilité de la part de certains modèles, je voulais qu’ils affichent leur singularité sans gêne, avec assurance ; je leur ai donc demandé de porter moins de vêtements. Certains sont allés jusqu’à poser nus. »

Quand j’ai cherché à comprendre pourquoi les images étaient si fascinantes, j’ai pensé à Œdipe, « Celui qui a les pieds enflés ». Dans la mythologie grecque, avoir des traits physiques différents, qui peuvent être perçus comme un handicap, est souvent un signe de prédestination. Œdipe a une démarche différente de la plupart des mortels, littéralement (il boite) et métaphoriquement, parce que sa vie a pris un chemin tragique. Et c’est grâce à sa claudication qu’il parvient à résoudre l’énigme du Sphinx : « Qu’est-ce qui a quatre pattes le matin, deux l’après-midi et trois le soir ? » Son « défaut », qui l’oblige à marcher avec une canne bien qu’il ne soit pas encore vieux, lui fournit la réponse : « l’homme ».

J’admire ceux qui sont « atypiques ». Si la symétrie est synonyme de normalité, alors je suis attiré par l’asymétrie. La rigidité d’une démarche normale est contraignante. La société cherche à tout contrôler en réduisant l’existence à une histoire d’équilibre et de résolution. Quel ennui ! Je préfère largement les pirates boiteux qui marchent avec une jambe de bois - non pas parce qu’ils sont différents, mais parce qu’ils sont uniques. Ces gamins sont à un âge auquel le changement est quotidien. Un âge auquel le monde ne tourne pas assez vite. La confusion de l'adolescence est porteuse d’une beauté incroyable, et il y a une sorte d’affirmation dans le fait de ne pas suivre la masse. Tout le monde peut s’identifier aux marginaux, au sentiment de non-appartenance. Je m’identifie à leur prétendue étrangeté.

Les modèles de cette série sont très différents de l’adolescent que j’étais à leur âge. Ils ont un pouvoir et un idéalisme que je n’avais absolument pas. J’étais beaucoup plus cynique et nihiliste. Ils sont nettement mieux dans leur peau. Peut-être parce que j’ai grandi durant l’épidémie du SIDA. Les corps étaient diffamés, le sexe était associé à la peur et au danger. À mes yeux, le sexe, la beauté et l’attirance étaient les enfants bâtards d’Éros et de Thanatos. Aujourd’hui, le paradoxe interne qui nous pousse à rechercher à la fois la conformité et la différence peut être exprimé d’une grande variété de manières.